Dans un petit appartement parisien baigné de lumière bleue, Nicolas contemplait le plafond, allongé sur son canapé usé. Son chat Mili, un félin tigré au regard perçant, ronronnait paisiblement sur son ventre.
Grand et élancé, avec ses cheveux bruns en bataille et son visage aux traits harmonieux, Nicolas avait ce charme naturel dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Les notes lancinantes d’un morceau de dub emplissaient l’espace, créant une bulle sonore où le temps semblait suspendu.
‘Encore une journée à rien faire…’ murmura-t-il en caressant distraitement Mili. Sur la table basse s’entassaient des cours à peine consultés, des feuilles à rouler et son téléphone qui vibrait régulièrement. C’était son groupe d’amis habituel qui proposait leur rituel quotidien de défonce.
Nicolas regardait les messages défiler sans vraiment y répondre. Il préférait rester dans cette zone de confort brumeuse, bercé par la musique et la présence rassurante de Mili. Ses doigts roulaient mécaniquement un joint, un geste devenu aussi naturel que respirer.
Le soleil déclinant projetait des ombres dansantes sur les murs, tandis que l’odeur caractéristique du cannabis commençait déjà à imprégner l’air de l’appartement.
Un violent courant d’air fit soudain claquer la fenêtre entrouverte, brisant la torpeur ambiante. En une fraction de seconde, Mili se raidit, ses oreilles pointées vers l’extérieur.
‘Mili?’ s’inquiéta Nicolas, sentant les muscles de son chat se tendre sous ses doigts.
Avant qu’il ne puisse réagir, Mili bondit de ses genoux et s’élança vers la fenêtre avec une agilité féline. ‘Mili, non!’ cria Nicolas en voyant son fidèle compagnon disparaître par l’ouverture.
Son cœur s’emballa – jamais Mili n’avait fait ça auparavant. Sans même prendre le temps de réfléchir, Nicolas enfila ses baskets à la hâte, abandonnant son joint à moitié roulé sur la table.
Dans la rue, il aperçut la silhouette tigrée qui tournait au coin de la rue. ‘Mili, reviens!’ appela-t-il, sa voix trahissant son anxiété. Pour la première fois depuis des mois, l’urgence de la situation le forçait à sortir de sa léthargie habituelle.
Le cœur battant, il s’élança à la poursuite de son chat, laissant derrière lui le cocon protecteur de son appartement et ses habitudes rassurantes.
Le souffle court, Nicolas suivait Mili à travers les ruelles du quartier. La course effrénée le menait dans des zones qu’il ne fréquentait plus depuis longtemps. Les battements de son cœur résonnaient dans sa poitrine, autant à cause de l’effort que de l’anxiété grandissante.
Soudain, une mélodie familière attira son attention. Des notes de reggae s’échappaient d’un vieux garage reconverti, la musique se faufilant par une porte entrouverte. Mili s’y glissa sans hésitation.
‘Attends!’ souffla Nicolas, s’arrêtant net quand il reconnut l’endroit. C’était le local de répétition où il avait l’habitude de se procurer son cannabis. Son estomac se noua en apercevant Marcus, son ancien dealer, dirigeant le groupe avec une assurance tranquille qu’il ne lui connaissait pas.
‘Tiens, Nicolas!’ s’exclama Marcus avec un sourire chaleureux. ‘Ça fait un bail! Viens, prends une guitare!’
Déstabilisé par cet accueil inattendu, Nicolas saisit maladroitement l’instrument qu’on lui tendait. Ses doigts tremblaient légèrement, son esprit encore embrumé par sa consommation récente. Quand il commença à jouer, la mélodie sortit désaccordée, bancale, trahissant son état. Cette performance catastrophique contrastait douloureusement avec le talent naturel dont il faisait preuve autrefois.
Rouge de honte, Nicolas s’éclipsa dans la ruelle adjacente, la guitare toujours à la main. Il s’adossa au mur, tentant de calmer sa respiration saccadée. Mili vint se frotter contre ses jambes, son regard perçant semblant le transpercer.
‘Tu as changé, mec,’ fit une voix douce derrière lui. Nicolas sursauta. Marcus s’était approché silencieusement, son visage reflétant une compassion sincère.
‘Toi aussi, tu as l’air… différent,’ murmura Nicolas, évitant son regard.
‘La musique m’a sauvé,’ répondit Marcus en s’asseyant à côté de lui. ‘J’ai découvert que la vraie liberté, elle n’était pas dans ce que je vendais. Elle était là.’ Il tapota doucement la guitare.
Marcus raconta alors son parcours : comment il avait troqué la défonce contre la création, découvrant une paix intérieure qu’aucune substance n’avait pu lui apporter. Nicolas écoutait, fasciné et troublé, sentant quelque chose remuer en lui.
‘Ta sensibilité, Nicolas, c’est un don précieux,’ poursuivit Marcus. ‘Pas besoin de la noyer. Elle peut devenir ta plus grande force.’
Nicolas caressa distraitement Mili, tiraillé entre son désir de changement et la peur paralysante de perdre ses repères. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait vraiment vu, vraiment compris.
Marcus s’approcha de Nicolas avec un sourire encourageant. ‘J’ai une proposition pour toi. On enregistre un nouveau morceau aujourd’hui, et j’aimerais que tu participes.’
La panique submergea instantanément Nicolas. Il balbutia une excuse et s’éclipsa rapidement derrière le studio. Ses mains tremblantes roulèrent trois joints qu’il enchaîna frénétiquement, tentant désespérément de calmer son anxiété grandissante.
De retour dans le studio, l’atmosphère lui parut soudain étouffante. Les micros semblaient le narguer, tandis que les regards des musiciens professionnels pesaient lourdement sur ses épaules. La tête lui tournait dangereusement, transformant les lumières du studio en halos flous.
‘On y va quand tu es prêt,’ lança doucement Marcus à travers l’interphone.
Nicolas saisit sa guitare, mais ses doigts tremblaient tellement qu’il peinait à tenir les cordes correctement. Le rythme, habituellement si naturel pour lui, lui échappait totalement. Chaque note sonnait fausse, déconnectée, comme si son cerveau embrumé ne parvenait plus à établir le lien entre ses émotions et sa musique.
‘On peut faire une pause si tu veux,’ suggéra Sarah, la chanteuse, avec inquiétude.
Mais Nicolas secoua la tête, obstiné malgré sa conscience qui oscillait dangereusement entre réalité et vertige. La sueur perlait sur son front tandis qu’il luttait pour maintenir une cohérence dans son jeu, transformant ce qui aurait dû être une opportunité excitante en un véritable cauchemar.
C’est alors qu’à travers la vitre du studio, son regard croisa celui de Mili. Son chat s’était assis de l’autre côté, l’observant avec cette intensité féline qui semblait toujours percer les apparences. Dans ces yeux d’ambre, Nicolas vit soudain son reflet avec une clarté déchirante – celui d’un jeune homme talentueux qui étouffait systématiquement sa sensibilité sous des volutes de fumée.
La vérité le frappa avec la force d’une révélation : ce n’était pas sa musique qui était fausse, c’était le voile qu’il plaçait entre elle et lui. Sa sensibilité, qu’il avait toujours perçue comme une faiblesse à masquer, était en réalité le cœur même de son expression artistique.
Les mains encore tremblantes, il posa délicatement sa guitare. ‘Je peux réessayer?’ demanda-t-il dans le micro, sa voix plus assurée qu’elle ne l’avait été depuis le début de la session.
Il ferma les yeux, prit une profonde respiration, et pour la première fois depuis longtemps, il laissa ses émotions brutes guider ses doigts sur les cordes. La peur était toujours là, mais au lieu de la fuir, il la laissa s’exprimer à travers sa musique.
Les dernières notes résonnèrent dans le studio – imparfaites mais profondément authentiques. Un silence respectueux s’installa, brisé par le sourire rayonnant de Marcus qui hocha la tête avec une fierté non dissimulée.
‘C’était ça qu’on attendait, mec,’ dit-il simplement à travers l’interphone.
En sortant du studio, Nicolas marqua une pause devant la poubelle extérieure. Après un moment d’hésitation, il y jeta son dernier joint et son briquet. Mili trottinait à ses côtés, comme approuvant silencieusement sa décision.
Sur le chemin du retour, son téléphone vibra. C’était un message d’Alex : ‘Soirée chez moi ce soir, on a de quoi planer pendant des heures.’
Son pouce hésita au-dessus de l’écran, tandis que les accords sincères de la session résonnaient encore dans sa tête. Pour la première fois, l’idée de passer une soirée dans un nuage de fumée lui semblait fade comparée à la puissance des émotions qu’il venait de ressentir.
Il rangea son téléphone sans répondre et gratta doucement la tête de Mili. ‘On rentre?’ murmura-t-il, un léger sourire aux lèvres. Le chat miaula en retour, comme pour dire qu’il était temps de prendre un nouveau chemin.