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Boum ! Boum ! Boum ! Les cartons se vidaient un à un.

La Maison des Grands-Parents était baignée de lumière dorée. La chambre d’Émilie, sous les combles, prenait doucement vie avec ses dessins colorés sur les murs et ses peluches préférées qui retrouvaient leur place sur le lit.

Maman soulevait délicatement une robe à pois bleus des cartons de vêtements. Elle l’accrocha soigneusement dans l’armoire en bois clair.

« Voilà, ma chérie. Ta robe préférée aura une place spéciale ici. »

Émilie sourit timidement. Cette robe lui rappelait le pique-nique au parc avec Papa, avant que tout ne change.

Billy fit irruption dans la chambre, ses cheveux blonds mi-longs ébouriffés par sa course dans les escaliers. Il tenait entre ses mains une petite boîte en bois ornée de gravures anciennes.

« Hey, petite artiste ! Regarde ce que j’ai trouvé pour ranger tes trésors colorés ! »

Les yeux d’Émilie s’illuminèrent en découvrant la boîte. Son grand frère avait toujours le don de trouver des objets magiques.

Mamie Aurore apparut alors dans l’encadrement de la porte, ses cheveux gris argentés coiffés en chignon décoré de pinces colorées. Elle portait un plateau rempli de biscuits aux couleurs de l’arc-en-ciel.

« Ma petite étoile, j’ai préparé des biscuits arc-en-ciel pour célébrer votre arrivée dans notre maison magique ! »

La chambre semblait déjà moins étrangère. Entre les biscuits colorés, la boîte mystérieuse et sa robe précieusement rangée, Émilie commençait à sentir que peut-être, juste peut-être, cet endroit pourrait devenir un nouveau chez-soi.

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Le lendemain matin, un rayon de soleil chatouilla le nez d’Émilie. La petite fille se réveilla en sursaut, impatiente. Aujourd’hui, elle allait explorer son nouveau quartier ! Et pour cette grande aventure, il lui fallait sa tenue porte-bonheur.

Émilie se dirigea vers l’armoire en bois clair et l’ouvrit d’un geste enthousiaste. Mais son sourire s’effaça aussitôt. Quelque chose n’allait pas.

« Non ! Ma robe ! Ses jolies couleurs disparaissent ! » cria-t-elle.

Les jolis pois bleus de sa robe préférée avaient commencé à se décolorer, devenant d’un gris terne et triste. Émilie toucha le tissu, incrédule. Hier encore, les pois étaient d’un bleu éclatant comme le ciel d’été.

Billy, alerté par le cri de sa sœur, apparut presque instantanément dans l’encadrement de la porte.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il avant de s’approcher de l’armoire. « Oh… c’est bizarre. Hier, elle était complètement bleue. »

Émilie serra la robe contre son cœur, les larmes aux yeux. C’était la robe que Papa lui avait offerte pour son anniversaire, avant que tout ne change.

« Ne t’inquiète pas, on va trouver ce qui arrive à tes couleurs, » promit Billy en posant une main rassurante sur l’épaule de sa petite sœur.

Une brise froide traversa soudain la pièce, faisant frissonner Émilie. Elle n’aurait pas pu l’entendre, mais un murmure à peine audible flottait dans l’air : « Une couleur de plus pour ma collection… une joie de moins à supporter… »

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Le Jardin Enchanté s’étendait derrière la maison comme une forêt miniature. Les fleurs semblaient chuchoter des secrets au passage d’Émilie, mais aujourd’hui, la petite fille remarqua qu’elles paraissaient moins vives, comme fatiguées. Là où les ombres touchaient les pétales, les couleurs s’estompaient.

« On pourrait cacher tes trésors ici, » suggéra Billy en montrant un recoin secret entre les racines du vieil arbre et les tournesols géants. « Personne ne les trouvera. »

Émilie acquiesça, serrant contre elle la boîte en bois que Billy avait trouvée. À l’intérieur, elle avait rangé sa robe à pois, mais aussi le dessin que Papa avait fait d’elle et la photo de leur dernier pique-nique en famille.

« Non, non, non ! Restez colorés, s’il vous plaît ! » s’écria soudain Émilie.

Sous ses yeux horrifiés, les couleurs semblaient s’échapper encore plus vite des objets, comme aspirées par l’air. Les pois bleus devenaient presque transparents, et les traits du dessin s’effaçaient peu à peu.

« C’est comme si quelque chose aspirait les couleurs… » murmura Billy, fronçant les sourcils. « Attends, tu as vu cette ombre là-bas ? »

Une silhouette furtive semblait se glisser entre les fleurs avant de disparaître.

« Ces objets sont tous liés à Papa, non ? » demanda doucement Billy.

Émilie hocha la tête, des larmes coulant sur ses joues.

Mamie Aurore apparut alors dans le jardin, comme si elle avait senti la détresse de sa petite-fille. Ses bracelets colorés tintaient doucement tandis qu’elle s’approchait.

« Ma petite artiste magicienne, les vraies couleurs ne se cachent pas dans les objets, mais dans ton cœur, » dit-elle en s’agenouillant près d’Émilie.

« Les souvenirs heureux gardent leurs couleurs même quand les choses changent. »

Un frisson parcourut le jardin, et Émilie aurait juré entendre un chuchotement porté par le vent : « Plus tu t’accroches, plus vite elles disparaîtront… »

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La cuisine de la Maison des Grands-Parents était baignée d’une lumière chaleureuse. L’odeur réconfortante du gratin préparé par Mamie Aurore enveloppait la pièce comme un câlin. Autour de la table en bois, la famille était réunie pour le dîner.

Émilie jouait distraitement avec sa fourchette, le regard triste. Finalement, elle leva ses yeux noisette brillants de larmes.

« Si ma robe perd ses couleurs, est-ce que mes souvenirs avec Papa vont disparaître aussi ? » demanda-t-elle d’une voix tremblante.

Un silence lourd s’installa. Maman posa sa fourchette et prit la main d’Émilie dans la sienne. Son visage montrait de la fatigue, mais aussi beaucoup d’amour.

« Mon petit cœur, les vrais souvenirs restent dans ton cœur, même quand les choses changent autour de nous, » dit-elle doucement.

Émilie vit sa mère ravaler ses propres larmes avant d’ajouter : « Papa t’aime toujours, même si notre façon de vivre est différente maintenant. »

Billy, assis en face d’Émilie, se pencha vers sa sœur. Ses yeux clairs brillaient d’une sagesse qui semblait dépasser ses neuf ans.

« Tu te souviens de cette fois où Papa nous a emmenés au parc avec ta robe bleue et qu’il a fait voler ton cerf-volant si haut ? Ce souvenir est toujours là, avec ou sans la robe. »

Mamie Aurore, dont les pinces colorées scintillaient dans ses cheveux argentés, posa une main ridée sur l’épaule d’Émilie.

« Ma petite étoile, parfois, la vie change comme les saisons. Le printemps paraît différent de l’hiver, mais les deux font partie du même jardin magique de la vie. »

Émilie hocha lentement la tête. Les mots de sa famille réchauffaient son cœur, mais elle sentait toujours cette peur froide qui semblait vouloir geler ses souvenirs les plus précieux.

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La nuit était tombée sur le Jardin Enchanté. La lune jetait une lueur argentée sur les plantes, transformant le jardin en un monde mystérieux. Pourtant, quelque chose n’allait pas. Des plaques de givre recouvraient les feuilles malgré la douceur de l’été, et une étrange brume froide flottait entre les fleurs.

Émilie s’était faufilée hors de la maison, pieds nus dans l’herbe humide, pour vérifier sa boîte de trésors. Son cœur battait la chamade tandis qu’elle s’approchait de la cachette.

Soudain, l’air devint glacial. Devant elle, une silhouette élégante se matérialisa comme faite d’ombre et de glace. Elle portait une couronne de cristaux bleutés et un manteau scintillant. Son visage, à moitié caché par des volutes d’ombre, rappelait le masque d’un renard.

« Qui êtes-vous ? Rendez-moi les couleurs de ma robe ! » exigea Émilie, serrant ses petits poings.

La silhouette s’inclina dans un mouvement fluide, son manteau ondulant comme de l’eau sombre.

« Je suis le Prince des Ombres Glacées, et je protège les enfants comme toi de la douleur des couleurs illusoires, » répondit-il d’une voix douce comme la neige qui tombe.

Le jardin autour d’eux gelait progressivement, les fleurs se figeant en sculptures de cristal.

« Les familles séparées perdent leurs couleurs, petite Émilie. C’est une vérité que j’ai apprise il y a longtemps, » continua le Prince en tendant une main pâle vers la boîte de trésors.

« Non ! Ma famille n’est pas cassée ! Elle est juste… différente maintenant, » protesta Émilie, ressentant un froid qui n’avait rien à voir avec la glace autour d’elle.

« Laisse-moi prendre toutes tes couleurs, et tu ne sentiras plus ce froid dans ton cœur, » promit le Prince, sa voix presque hypnotique.

« Émilie ! Je savais que tu serais ici… » La voix de Billy brisa le sortilège. Il s’arrêta net en voyant la scène. « Attends, qui est-ce ? »

Billy se plaça devant sa sœur, protecteur. « Ne l’écoute pas ! Nos couleurs sont à nous et personne ne peut les prendre ! » lança-t-il au Prince.

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Le Jardin Enchanté était figé dans un étrange tableau d’hiver et d’été. La glace s’étendait autour du Prince, mais là où Émilie et Billy se tenaient, de petites taches de couleur vive commençaient à apparaître dans l’herbe gelée, comme si leur présence réchauffait le sol.

Le Prince tendit ses longs doigts pâles vers la boîte qui contenait les trésors d’Émilie. Un halo de givre bleuté entoura l’objet.

Soudain, les paroles de sa mère résonnèrent dans l’esprit d’Émilie : « Les vrais souvenirs restent dans ton cœur, même quand les choses changent autour de nous. »

Une chaleur se répandit dans sa poitrine, comme si une petite flamme s’y était allumée.

« Attendez ! » s’écria Émilie, sa voix plus assurée qu’elle ne l’avait jamais été. « Ces objets peuvent perdre leurs couleurs, mais pas mes souvenirs ! »

Elle fit un pas en avant, et sous ses pieds, des fleurs colorées percent la fine couche de gel.

« Maman dit que l’amour reste même quand les choses changent. Et elle a raison ! »

Le visage du Prince des Ombres Glacées se crispa légèrement, sa main se figea dans l’air.

« C’est ça, Émilie ! Les couleurs de nos cœurs sont plus fortes que son pouvoir glacé ! » encouragea Billy, posant une main sur l’épaule de sa sœur.

À cette parole, les couleurs du jardin se mirent à pulser doucement, comme au rythme d’un cœur invisible. Des spirales de couleur s’élevaient autour des enfants, faisant reculer la glace.

« Non ! Comment peux-tu encore voir des couleurs alors que tout se brise autour de toi ? » demanda le Prince, une note de véritable incompréhension dans sa voix mélancolique.

Émilie regarda sa robe à pois qui avait presque entièrement perdu ses couleurs. Mais étrangement, elle ne ressentait plus cette douleur glacée. À la place, elle voyait les couleurs des souvenirs danser dans son esprit – le rire de Papa, les histoires de Billy, les câlins de Maman…

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La chambre d’Émilie, sous les combles de la Maison des Grands-Parents, semblait différente ce matin-là. Les rayons du soleil qui filtraient à travers les rideaux semblaient plus chauds, plus dorés. Même les ombres dans les coins paraissaient moins menaçantes, presque amicales.

Émilie était assise sur son lit, entourée de sa famille. Sur ses genoux reposait sa robe autrefois bleue à pois, maintenant d’une teinte grise pâle. Mais contrairement à la veille, elle souriait en la regardant.

« Je vais dessiner de nouvelles couleurs sur ma robe ! Des couleurs que personne ne pourra prendre parce qu’elles viennent de moi ! » annonça-t-elle avec détermination.

Maman, assise à côté d’elle, passa tendrement une main dans les cheveux châtains ébouriffés de sa fille. Son visage, bien que marqué par la fatigue, rayonnait de fierté.

« Ma courageuse petite fille. Tu as compris quelque chose de très important aujourd’hui. »

Billy, debout près de la fenêtre, observait le jardin d’un air pensif. Il se tourna vers Émilie avec un sourire malicieux.

« Tu as été plus forte que ce Prince bizarre ! Mais je parie qu’il reviendra… Il avait l’air vraiment fâché ! »

Mamie Aurore s’approcha du lit, ses bracelets colorés tintant doucement à chaque mouvement. Elle tendit à Émilie une boîte de crayons de couleur magnifiques, certains plus brillants que des joyaux.

« Ma petite étoile brillante, voici mes plus beaux crayons de couleur. Transforme ce qui est fade en quelque chose de magique ! »

Émilie prit les crayons avec révérence. Elle comprenait maintenant que même si sa famille était différente, l’amour qui les unissait restait intact. Certaines choses changeaient, comme les saisons, mais les couleurs dans son cœur ne pouvaient pas être volées.

Elle commença à dessiner sur sa robe grise, ajoutant des pois multicolores, des étoiles et des petits soleils. Chaque couleur qu’elle posait semblait plus vive, plus réelle que les pois bleus d’origine.

Ce soir-là, tandis qu’Émilie s’endormait paisiblement, une fine couche de givre apparut sur la fenêtre. De l’autre côté, le Prince des Ombres Glacées observait les nouveaux enfants qui jouaient dans le parc du quartier, un sourire froid se dessinant sur son visage.

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